Le buisson ardent

L'église

Pour « entendre » la Messe, tu vas à l'église.

Elle est banale, cette église.  Sans beauté. Une grange à prière. L'usine où on te distribue les sacrements. Pourquoi cet édifice plutôt que le hall de la Gare Saint-Lazare ou le Palais de Chaillot ? Nul ne le sait qui se dirige vers elle dans la presse du dimanche matin. Ah ! Si nous pouvions prier à Vézelay, à Orcival, à Saint-Nectaire !

Toute église est belle, toute église est Orcival, toute église est Saint-Nectaire ou Tournous. Oui, même Sainte Clotilde, sa parure de foi et de faux-semblants. Dans la disgrâce de son style, elle est sacrée. Cette Maison reste la Maison de Dieu, ointe du chrême comme un prêtre. Elle est le christ.

Le peuple de dieu s'y rassemble et ce serait déjà noblesse que d'être le lieu où il prie, le lieu où les âmes s'ouvrent à la grâce. Ce serait déjà noblesse qu'aussi le rassembler, et le serrant dans la chasteté des murs, l'unir. Le sépulcre est saint, qui contint trois jours le cadavre de Jésus, plus sainte l'église qui porte son corps vivant.

Plus sainte l'église qui est ce corps vivant. On célèbre parfois la messe sur une montagne, ou bien sur une grève. Nous en sommes émus. Nous associons la terre à notre prière. L'odeur du sapin, le rythme des vagues nous portent. Nous nous attendrissons d'entendre les oiseaux louer Dieu en même temps que nous. À force de sentiments, nous nous croyons Saint-François. C'est une mode. Mais l'église est beaucoup plus toute la terre que cette cime ou que ce rivage. Elle est la terre ressuscitée. Entre là, tu touches la terre rassemblée dans le Christ, la terre déjà purifiée de la grande purification eschatologique. Jérusalem, tes serviteurs aiment tes pierres et ta ... émeut leur cœur ! Pense mon fils, que cette pierre est baptisée, comme était baptisée la pierre du temple où le grand-prêtre versait l'eau de sa cruche d'or. Pense qu'elle est sacrée d'une onction comme un évêque ou comme un roi. Elle est la terre déjà qui revivra dans le Christ quand il triomphera sur les étoiles et sur le soleil.

La plus vilaine des églises est cela : sache le voir. À Paray-le-Monial où tout est nombre, tu l'as senti, la création harmonieuse et qui ne meurt plus. Si nos églises étaient des Paray-le-Monial ou des Saint Cernin notre amour serait plus facile. Bienheureux qui prie dans leurs murs. Ils lui parlent. Il fallait leur beauté pour que nous sachions la beauté de toute église. Quiconque bâtissant une église n’essaie pas qu'elle soit belle de cette beauté là blasphème le corps du Christ. Il le masque d'un masque de laideur. Il le déguise. Mais sous le masque et le déguisement, c'est encore Lui. Toute église est un Orcival.

Les païens ont parfois mieux compris que nous ; ils savent que le Temple est l'univers et qu'il participe du dieu. Ils savent que ces quadrilatères et ses coupoles rassemblent le monde. Pourtant leur temple, et le plus beau, et Angkor vaut la montagne de Dieu et le Bayou avec le sourire multiple des idoles ne sont qu'une image et à peine l'ébauche de la plus humble de nos églises. Qu'était-ce même, le Tabernacle du désert où Moïse convoquait Yahweh.

Dans tous nos villages, au détour d'un vallon, au faite d'une colline, nos églises ! Sur nos villes flottant à l'océan des toits comme des barques. Le clocher est un doigt pointé vers le ciel. Le clocher enfoui des pierres levées et symbole d'énergie divine. Qu'apparaisse l'église et le paysage se sacralise. Il s'ordonne en une prière. Les chênes blonds, les vignes rouges de septembre, le ciel verdi vers l'horizon n'ont plus de sens que par ce clocher. Tout maléfice est dénoué. J'ai parcouru de longs espaces sans église (à peine parfois une paillote que surmontait minable une croix de bois). C'était atroce. Rien n'exorcisait les effluves charnels de la terre. Les tentations les plus étranges vous assaillent dans un univers aussi démuni de sens que l'enfer.

Archipels de silence sur nos campagnes, s’égrènent de val en val nos églises. Sources de silence, îles de paix.